
Un accord de branche étendu ne peut déroger à l’application du délai de carence légal en cas de CDD successifs que dans certains cas seulement qu’il doit définir. Il ne peut pas prévoir une exclusion générale de tout délai de carence.
Afin de limiter le recours abusif au CDD, le Code du travail énonce un certain nombre de règles protectrices des salariés visant, notamment, à limiter le risque de précarité de l’emploi. Ainsi, conformément à l’article L 1244-3 du Code du travail, à l’expiration d’un CDD, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un CDD ni à un contrat de travail temporaire, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements.
A noter : Le délai de carence fixé par le Code du travail est égal au tiers de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat initial (renouvellement inclus) est de 14 jours ou plus et à la moitié de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat (renouvellement inclus) est inférieure à 14 jours (C. trav. art. L 1244-3-1).
L’article L 1244-4 du Code du travail offre, cependant, la possiblité aux partenaires sociaux, par accord de branche étendu, de prévoir les cas dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable, étant entendu, toutefois, que l’exercice de cette faculté de choix ne peut avoir pour conséquence que le contrat précaire pourvoie durablement un emploi lié à l’activité normale et permamente de l’entreprise.
A noter : A défaut de dispositions expresses de l’accord de branche étendu ou si aucun accord de branche n’est conclu ni étendu, ce sont les règles fixées par le Code du travail qui s’appliquent.
Dans une décision du 27 avril 2022, le Conseil d’Etat circonscrit les prérogatives des branches dans ce domaine.
Pas d’exclusion de principe du délai de carence en cas de succession de CDD
Quel est le périmètre d’action réel de la branche sur cette dérogation ? Lui est-il permis d’écarter l’application du délai de carence de manière systématique ?
C’est la question à laquelle le Conseil d’Etat a répondu dans l’arrêt du 27 avril 2022.
En l’espèce, un avenant du 18 septembre 2019 à la convention collective nationale agréée et étendue de Pôle Emploi est venu déroger aux articles L 1244-3 et L 1244-4 du Code du travail en prévoyant que le délai de carence légal ne s’applique pas, de façon générale, dans tous les cas de succession de CDD. Dans sa rédaction issue de cet avenant, le paragraphe 4 de l’article 8.4 de la convention collective prévoit en effet que dans l’objectif de lutter contre la précarité, de réduire le nombre annuel d’agents recrutés en CDD et ainsi de favoriser leur intégration, aucun délai de carence n’est appliqué dans tous les cas de succession de CDD.
La fédération Force ouvrière des employés et cadres avait saisi la juridiction administrative aux fins d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté d’extension de cet avenant, notamment, au motif que le paragraphe 4 de l’article 8.4 révisé méconnaissait les dispositions des articles L 1244-3 et L 1244-4 du Code du travail.
Dans sa décision du 27 avril 2022, le Conseil d’Etat lui donne raison.
Pour la Haute Juridiction, les stipulations en cause ont pour objet d’exclure de façon générale l’application du délai de carence dans tous les cas de succession de CDD. Or, la loi ne permet aux branches de déroger au principe de l’application d’un délai de carence que dans certains cas seulement qu’il lui appartient de définir. Ainsi, la formulation générale d’exclusion adoptée par la convention collective nationale de Pôle Emploi est contraire aux dispositions citées du Code du travail.
A noter : Le Conseil d’Etat considère également que l’article L 5312-9 du Code du travail disposant que les agents de Pôle Emploi sont régis par le Code du travail dans les conditions particulières prévues par la convention collective nationale agréée et étendue de Pôle Emploi, n’a pas pour effet de permettre à cette convention de déroger aux articles L 1244-3 et L 1244-4 dudit Code.
L’arrêté attaqué ne pouvait donc légalement étendre les stipulations de l’avenant litigieux. En conséquence, le Conseil d’Etat prononce son annulation partielle.
Des questions restent en suspens
Dans la décision commentée, le grief retenu à l’encontre de l’avenant à la convention collective nationale de Pôle Emploi est d’avoir systématisé la non-application du délai de carence en cas de succession de CDD sans distinction.
Une branche pourrait-elle déroger à cette règle légale dès lors qu’au lieu de retenir une formulation générale, elle dresserait une liste des différents cas de recours au CDD pour lesquels elle entendrait écarter l’application du délai de carence, quitte à viser la quasi-totalité (voire la totalité) de ces cas de recours ?
A noter : Le Conseil d’Etat s’est prononcé favorablement sur la possibilité pour un accord de branche étendu d’écarter l’application du délai de carence entre deux contrats précaires successifs dont l’un est conclu pour motif d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, alors même que les requérants faisaient valoir que ce cas de recours constituait la quasi-totalité des cas de recours constatés en pratique. Le Conseil d’Etat a souligné, toutefois, que cette faculté est soumise à la condition que les stipulations des accords ou conventions ainsi conclus ne portent pas préjudice aux dispositions, d’ordre public, des articles L 1242-1 et L 1251-5 du Code du travail relatives à l’interdiction de pourvoir durablement un emploi permanent (CE 19-5-2021 no 426825 FTM-CGT
La décision du Conseil d’Etat s’applique aux contrats de travail temporaire
Les dispositions légales applicables aux contrats de mission sont identiques à celles applicables aux CDD quant au respect du délai de carence.
En effet, à l’expiration d’un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements. Mais une convention ou un accord de branche étendu de l’entreprise utilisatrice peut fixer les modalités de calcul de ce délai de carence (C. trav. art. L 1251-36). L’accord de branche étendu de l’entreprise utilisatrice peut aussi prévoir les cas dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable (C. trav. art. L 1251-37).
En conséquence, la décision du Conseil d’Etat trouve logiquement s’appliquer à ce type de contrats.
Source : Editions Francis Lefebvre 2022